<div align="center">Problèmes soulevés par les prélèvements de sables marins
dans le secteur Gâvres-Quiberon
Analyse de Yves LEBAHY
Professeur de Géographie
IUP d’aménagement maritime et littoral
Université de Bretagne sud - Lorient</div>
Cette réflexion n’est qu’une première approche subjective, qui sur chacun des points abordés méritera une étude scientifique spécifique et méthodique. Toutefois, une analyse rapide conduit à contester ce projet sur au moins quatre points et à remettre en cause sa pertinence au nom du simple principe de précaution.
Ces 4 points sont les suivants :
L’effet de ces prélèvements sur l’évolution du trait de côte et son équilibre morphologique dans un contexte qui sera très délicat d’ici peu en raison de l’élévation constatée du niveau marin.
L’effet de ces prélèvements sur la ressource halieutique.
La pertinence de ces prélèvements dans un contexte de raréfaction de la ressource et de développement durable.
La contradiction entre cette démarche et les orientations de la nouvelle politique littorale impulsée par l’Union européenne qui en ces lieux, plus particulièrement, mettent en cause des expérimentations amorcées en ce domaine.
1)Interrogations sur l’équilibre du trait de côte et effets probables des prélèvements:
« L’effondrement des falaises, l’envasement des baies et le remaniement des plages de sable sont des manifestations naturelles des impacts croisés de la marée, de la houle et des courants marins, du vent et du gel. Cependant, les actions de l’homme peuvent venir contrarier l’équilibre entre érosion, engraissement et stabilité » (Lettre de l’Ifen n° 113, septembre 2006). Or ce même article fait référence au fait que si 1/10ème du linéaire du littoral métropolitain s’engraisse actuellement, le quart au contraire est affecté par l’érosion notamment sur les portions sableuses et il ne peut que constater le lien entre ce recul manifeste et l’activité humaine croissante en ces lieux.
Or dans le cas du secteur concerné de Gâvres Quiberon, nous sommes bien face à la gestion d’un secteur dunaire complexe, en réalité d’un double système dunaire. Son linéaire côtier actuel est essentiellement constitué d’une dune vive d’une grande ampleur s’étendant du secteur de Penthièvre à Gâvres et se poursuivant plus épisodiquement au-delà, vers l’ouest, jusqu’à l’Ile Tudy et au Pays bigouden (29) comblant ainsi tous les rentrants de la côte de massifs dunaires, lédènes et tombolos. Or ces accumulations visibles de sable sont le résultat du remaniement d’un massif dunaire sous marin, situé à une profondeur de 20 à 30 mètres, résultant des apports sédimentaires de la dernière glaciation. Nos climats actuels ne permettent pas, en effet, le développement d’une érosion telle qu’elle génère des apports détritiques aussi importants. Seuls les climats glaciaires et périglaciaires antérieurs ont pu les produire, comme l’essentiel des granulats actuellement exploités. Les systèmes dunaires du littoral contemporain ne sont donc que le résultat d’un transfert à la côte de ces sables fossiles sous-marins, apportés de ces gisements profonds par les effets de la houle et des courants de marée ou de dérive littorale.
Ce phénomène très lent met donc en jeu l’action de la houle sur le fond. Or, à partir de quelle profondeur l’agitation de l’eau produite par la houle entraîne-t-elle les sédiments posés au fond ? Selon les chercheurs, ces effets sont perceptibles à 20, 30, voire même pour certains 40 mètres de profondeur (J.P. Pinot). Mais ces chiffes sont donnés sans référence à l’amplitude et la cambrure de la houle, à la nature et la topographie des fonds, éléments qui eux aussi interfèrent. Il y a là polémique en apparence et ces données restent à vérifier. Toutefois et plus précisément, des règles physiques existent qui confirment ce processus : pour certains chercheurs, les effets d’agitation de l’eau au fond sont sensibles à une profondeur équivalent au moins à la moitié de la longueur d’onde de la houle ; pour d’autres, l’agitation de l’eau diminue de moitié à chaque fois que l’on descend d’une profondeur équivalente à 1/9ème de la longueur d’onde (Bonnefille – 1992). Quelques soient ces règles, dans ce secteur de prospection incriminé où des houles de longueur d’onde de 100 mètres sont régulièrement observées, leurs effets conduisent bien à une agitation des fonds où se situent les gisements de sable, objets d’une intention d’exploitation, puisqu’ils sont situés à cette profondeur d’une trentaine de mètres (25 à 30 m). Et preuve incontestable de cette mise en suspension des sables du fond par la houle : l’existence actuelle des massifs dunaires littoraux qui, sans elle, n’auraient pu se constituer !
Un autre preuve semble le confirmer : la dégradation actuelle de ces massifs. L’affaiblissement du pédoncule du tombolo situé à Gâvres (rupture du cordon et invasion de la mer dans les lotissements en Janvier 2001), évolution de la barre d’Etel, dégraissement progressif de la plage convexe des Grands Sables à Groix et d’autres plages aux Glénan, fort recul du poulier de la Laïta conduisant à un colmatage de l’estuaire par le sable qui y pénètre, phénomène identique sur le Belon, rupture du tombolo de l’Ile Tudy en (29/10/2004 ), ne sont pas là la simple cause de dégraissements naturels. Tous ces évènements sont visiblement à mettre en relation, plus de 50 ans après, avec les extractions de sables opérées en mer et sur les dunes vives (élément lui-même mobile) au moment de la guerre pour réaliser le mur de l’Atlantique, la base sous-marine de Lorient (1,1 million de tonnes de sable), la reconstruction de cette ville (volume probablement plus important encore). Ces masses de sables prélevées semblent manquer cruellement au maintien de la dynamique littorale actuelle, animée par un courant de dérive littorale qui remonte à partir du secteur d’Erdeven vers le NW, en longeant la côte.
Prélever donc 600 000 tonnes de granulats par an dans ce secteur pendant quelques dizaines d’années (ne parle-t-on pas d’une concession de 30 ans ?), comme semble le définir ce projet d’exploitation, constituera à long terme (effet de rémanence d’une 50aine d’années) un acte préjudiciable au maintien des équilibres morphologiques de toute la dynamique côtière de cette côte sud de la Bretagne, plus particulièrement sur les rivages proches du lieu d’extraction. Ses effets risquent d’ailleurs d’avoir des *équences plus dommageables encore, car ils vont se combiner avec le mouvement constaté et prévu de la remontée du niveau de la mer (3mm/an constatés à Brest depuis 10 ans ; élévation de 40 à 60 cm prévue par le GIEC sur l’horizon 2080).
Compte tenu de ces éléments, le simple principe de précaution doit nous conduire à surseoir à ce projet.
2)*équences sur la ressource halieutique :
En ce domaine, je ne suis pas compétent. (voir en ce domaine les arguments fort étayés de Pierre MOLLO, chercheur au CEMPAMA de Beg Meil). Toutefois, il est clair que ces prélèvements vont perturber la nature de ces fonds connus pour être des frayères à merluchons, à rougets et sans doute riches de multiples autres espèces. La perturbation de ce milieux lors du dragage des sables et la destruction du fond, ne peuvent conduire qu’à une perturbation des écosystèmes, pourtant vitaux pour la pêche côtière.
A un moment où il nous faut protéger ces activités pérennes, spécifique de la richesse des espaces littoraux (Cf, « message d’alerte » du CNADT du 9/7/03), il paraît incohérent de mener une telle exploitation minière, c'est-à-dire une activité qui consomme une richesse naturelle de manière irrémédiable.
Nos sociétés, engagées dans une démarche durable ne peuvent plus se permettre une telle action, dommageable pour les équilibres du milieu.
3)Les prélèvements de granulats : une économie contestable.
Cette dernière réflexion conduit à s’interroger sur le sens même de cette exploitation. La demande du permis de prospection, voire d’exploitation, de ce gisement semble motivée par une forte demande en granulats à destination de la construction. Il est vrai que, dans les conditions actuelles du marché, ces besoins sont grands, d’autant plus grands que récemment la fermeture de nombreux sites de production, pour des raisons environnementales, renforce les tensions sur ce marché.
La France consomme à elle seule annuellement environ 420 millions de tonnes de granulats (chiffre de 2004) pour une production de 400 millions de tonnes. Ses besoins en ce type de matériaux sont notamment très importants en Ile de France, dans le Sud Ouest. Dans ce contexte, la Bretagne manquerait annuellement de 2 millions de tonnes. Des besoins de forte importance se font également sentir sur le Bassin de Londres.
Or nombre de gisements producteurs sont en cours de fermeture, notamment à terre pour des raisons environnementales. Les grands sites producteurs de ce matériau en Europe, en Norvège, en Ecosse, ont été obligés de fermer (Glensanda par exemple) ou même n’ont pu s’ouvrir (carrière de Harrys) sous les pressions législatives en matière de protection de l’environnement et d’opinion des mouvements écologistes. La tension est donc très forte sur ce marché et pose aujourd’hui clairement la question d’une alternative à ces prélèvements miniers. Certes, elle ne peut s’opérer en un jour. Mais des efforts sont peut-être à réaliser en ce domaine, particulièrement chez ceux qui maîtrisent le marché, à savoir les sociétés qui opèrent dans ce secteur.
Il est étonnant de constater que le recyclage des bétons et autres matériaux de carrière destinés à produire des granulats soit si faible en France par comparaison aux pays voisins. Si la Grande Bretagne recycle aujourd’hui 24,5% de ses besoins, l’Allemagne, 16%, la France n’en est encore qu’à 4,5% (soit 18 millions de tonnes) ! Il y a là un gisement économique considérable à mettre en œuvre avant même de poursuivre une exploitation minière tant sur terre qu’en mer. (N.B. : il est très révélateur d’ailleurs, de constater que faute de ne plus pouvoir exercer cette activité sur terre, on cherche à la redéployer en mer, espace commun où tout semble permis, alors qu’au contraire il est encore plus complexe, plus fragile et objet de concurrences énormes et croissantes en terme de mise en valeur. Prendre une telle résolution c’est afficher ignorance et mépris à l’égard de ce milieu et des populations qui en vivent.) Il peut être par ailleurs source d’activité et de production de richesse particulièrement intéressante à un moment ou la ressource se raréfie. La valeur ajoutée générée à la tonne transformée serait sûrement plus profitable pour l’économie portuaire afférente que le simple processus d’extraction/transit. Cette option apparaît préférable sinon prioritaire, avant même que ne s’exprime la volonté d’extraction qui met en péril les équilibres naturels d’espaces aussi fragiles et complexes que sont les littoraux. (NB : ce propos a bien conscience que tous les granulats ne sont pas de même nature et que, selon celle-ci, leurs usages peuvent être différents).
Cette réflexion nous invite par ailleurs à remettre en cause nos comportements en matière de constructions. Quand on sait que la moitié des constructions réalisées en zone littorale en Bretagne sont aujourd’hui des résidences secondaires fortement déstabilisatrices des équilibres sociaux et économiques de la région, y a-t-il réellement besoin de ces 2 millions de tonnes manquant actuellement en Bretagne? A un moment ou ce modèle de développement se trouve contesté par une bonne part de la société, cette activité prévue serait d’autant plus mal comprise.
Et puis, ne doit-on pas construire en France de manière plus économe, plus durable comme c’est le cas déjà dans d’autres pays européens où des efforts notoires sont menés par les architectes et les urbanistes pour réaliser des constructions utilisant d’autres matériaux. Les logiques de développement durable prônées par l’Union européenne (voir SDEC de Mai 1999) nous y invitent. Elles sont source de nouvelles logiques économiques sûrement plus rentables pour les entreprises qu’une simple activité minière productrice de faible valeur ajoutée.
Nous devons donc cesser d’avoir une action strictement prédatrice sur notre environnement. Il nous faut retrouver la sagesse des populations anciennes qui ne prélevaient que ce dont elles avaient besoin : c’est le principe de géosophie cher à Philippe Pinchemel. Là est l’occasion de le mettre en application.
4)La procédure de l’opération : une démarche politique à contre courant.
La question posée par cette opération est enfin politique, au sens profond du terme. Elle arrive à « contre courant » des initiatives portées en ces lieux depuis peu par les autorités françaises et européennes.
Jusqu’à présent les littoraux ont été perçus comme des espaces à conquérir. Ils subissent une pression énorme en terme d’enjeux, de concurrences pouvant aller jusqu’aux conflits. En réaction nos autorités ont, depuis 50 ans, mis en œuvre des politiques de protection. C’est ici le cas, avec à proximité du périmètre prévu d’exploitation un site classé, un autre en zone Natura 2000. Toutefois, ces politiques avouent aujourd’hui leurs limites. Aussi, sans les renier, l’Etat français, sous l’injonction des recommandations européennes du 04 Octobre 2000 et du 30 Mai 2002, vient de mettre en œuvre en Septembre 2004 une nouvelle politique littorale (voir CNADT du 4 sept 2004) : la gestion intégrée des zones côtières (GIZC).
Cette nouvelle politique, inscrite dans les logiques de développement durable prônées par l’UE, par ailleurs soucieuse de prendre en compte la complexité de ces milieux littoraux et côtiers, propose une approche globale et intégrée des problématiques d’aménagement et de mise en valeur de ces espaces en s’appuyant sur une lecture unifiée des milieux qui lie les rivages terrestres à la mer bordière. Elle tente d’assurer la cohabitation entre les activités et différents modes d’occupation du territoire. Mais, à la recherche d’une utilisation économe de ses ressources, du maintien des équilibres du géosystème littoral qui combine à la fois écoystème et anthroposystème, elle axe sa réflexion sur la place de l’homme-habitant en tant qu’acteur majeur de la gestion de cet espace. Aussi vise-t-elle à responsabiliser les populations à l’égard des choix à opérer en matière d’aménagement et de mise en valeur de leurs territoires, ce qui suppose de mettre en place une politique réelle de concertation. Or la concertation c'est l’élaboration en commun d’un choix de vie, d’aménagement, après information des enjeux et discussion équilibrée entre acteurs concernés, cela dans une démarche citoyenne renouvelée.
Sur le secteur Gâvres Etel ce processus est déjà en route. Ce territoire a en effet été retenu en 2005 par le gouvernement, parmi 24 autres sites, comme territoire d’expérimentation de la GIZC. Y est conduite, par ailleurs, une opération Grand Site destinée à réhabiliter et préserver la totalité du massif dunaire qui jouxte la zone prévue d’exploitation. Les populations et les autorités politiques locales comprendraient mal qu’une telle activité soit conduite en ce lieu, alors que la décision d’opérer semble s’imposer de fait, sans débat, sans décision commune et que ses *équences vont à l’encontre de l’idée de préservation du géosystème littoral.
Il y a là ignorance de la part des opérateurs, tant dans la démarche entreprise que ses *équences, de ce changement de la politique littorale. Il y a là ignorance des expérimentations en cours conduites par l’Etat. Tout cela relève d’un mépris que les populations ne supportent plus et qui met en péril l’expérimentation entamée et conduite par l’Etat et l’Union européenne. Cette opération arrive donc à contre courant des politiques aujourd’hui menées en faveur de la préservation du littoral. Elle risque même d’annihiler tous ces efforts et d’en détourner les populations. Restons donc responsables !
Yves LEBAHY